« La vie des saints de la cité »

Publié le par Monika Szymaniak

« La vie des saints de la cité »

« Fistulet, le chômeur, allait d’immeuble en immeuble, il appuyait son épaule contre les interphones pour pousser simultanément tous les boutons.

AUSSITÔT, les chiens du voisinage se mettaient à aboyer.

AUSSITÔT, les habitants décrochaient leur combiné.

AUSSITÔT, leurs voix s’élevaient. Chacun, avec le ton et le timbre plus ou moins mélodieux qui étaient les siens, hurlait :

— Allô ?

— C’est qui ?

— J’écoute !

— Qui est là ?

— Putain, qu’est-ce que c’est que ce bordel en pleine nuit ?

Lorsque la symphonie de nos voix cessait de retentir dans notre Cité, Fistulet demandait tout bas :

— POURQUOI JE SUIS LÀ AU JUSTE ?

En d’autres termes, Fistulet demandait quel était le sens de son existence.

Cette petite phrase résonnait dans nos têtes, nuit après nuit.

M. Clavette, qui avait survécu à l’occupation et qui n’avait jamais eu de problèmes de sommeil, restait dès lors allongé, les yeux rivés au plafond. Ensuite, il se levait, allumait une cigarette et tournait en rond dans son appartement, comme un papillon de nuit sous une cloche de verre.

Lolo le Tôlier n’alla plus bosser, il ferma son garage et passa son temps à scruter la voûte céleste, assis sur un banc près du Tremble de l’Épiphanie.

Fistulet avait distillé le venin de sa question nocturne dans notre Cité. Tout habitant qui avait été mordu errait livide comme un vampire, à cause de ses insomnies. Il trébuchait sur les trottoirs défoncés et n’avait plus goût à rien – c’est évident : avant de commencer à vivre, il faut déjà savoir pourquoi on vit. »

La vie des saints de la cité (Żywoty świętych osiedlowych), Lidia Amejko, Actes Sud, 2009. Traduction du polonais : Lydia Waleryszak.

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